Discours du 11 novembre 2021 :
La première guerre mondiale, ce grand suicide européen, ne cesse d’impressionner de son soleil noir nos esprits émoussés.
Nous sommes les descendants de ce cataclysme, même si nous n’avons plus la connaissance directe des derniers témoins. La terreur des tranchées traumatise encore l’inconscient du Vieux continent.
Les historiens militaires affirment que la guerre, ou plutôt, la manière de faire la guerre, dévoile et prédestine en quelque sorte les mouvements profonds de l’organisation sociale. Au début du siècle dernier, pour la première fois depuis l’invention de la poudre, la machine écrase l’homme. L’artefact se retourne contre le démiurge.
L’écrivain François Bousquet recense cette évolution en relevant un trait pertinent des deux drames de l’été 1914 préfigurant l’anonymisation de la mort de masse qui caractérise la guerre moderne.
Pour symboliser ce changement d’époque, il s’attache à deux morts symboliques :
« D’une certaine façon, écrit-il, si Jaurès est le premier mort français de 1914, Péguy est le deuxième. L’un pour avoir cru qu’on pourrait empêcher la boucherie, l’autre pour avoir cru qu’elle n’aurait pas lieu. On a d’abord tué la paix, ensuite l’héroïsme. Les deux ont été significativement frappés au visage. Car c’est cela 1914-1918. La fin du figuratif, la suppression du visage, dans les tableaux de l’avant-garde comme dans l’enfer des tranchées. En se débarrassant de la face humaine, on a liquidé la question de l’humanité de l’homme, lequel est devenu comme étranger à lui-même. Réduit finalement à l’anonymat du soldat inconnu, qu’on honore par défaut chaque 11 novembre. »
C’est pourquoi le travail vigilant et pérenne que le Souvenir Français a entrepris à la suite de la première guerre industrielle de 1870 est toujours d’actualité.
Entretenir matériellement la mémoire des soldats tombés au champ d’honneur en veillant jalousement sur leurs sépultures.
Retrouver la trace des disparus.
Graver le nom des oubliés sur les monuments publics et dans les cimetières.
Tout cela permet de redonner une identité et une humanité à ceux que la guerre et l’oubli ont broyé.
A ce titre, la Ville d’Orange a toujours apporté sa contribution dans l’accomplissement de ce devoir patriotique qui nous rappelle que « les morts gouvernent les vivants ».
Le retour à Orange de la sépulture du commandant Georges Goumin en est l’illustration la plus récente.
C’est un volontariat d’amour et de gratitude envers ceux qui ont tout donné sans même nous connaître car s’ils étaient la France souffrante et combattante, n’oublions pas que nous étions à leurs yeux la France de l’espoir.
Arrêtons-nous quelques instants, et demandons-nous combien de fois n’ont-ils pas été trahis ces soldats morts pour la patrie ?
Et combien de fois leur espoir n’a-t-il pas été foulé par notre lâcheté ou notre indifférence ?
Devant ces croix blanches ou les monuments de pierre qui sanctuarisent la place de chaque village français, un passant amnésique peut n’y voir que des noms sans famille, des titres de gloire sans armée, des lieux exotiques disparus des cartes de tourisme.
Nous, nous y voyons encore le sacrifice, le devoir et le don.
Nous y puisons toujours l’amour inextinguible qui dépasse l’individu pour le plonger dans le temps ineffable de l’éternité.
Nous y recueillons précieusement l’honneur national de ceux qui ont transmis l’héritage au prix du martyre.
La lecture des militaires morts pour la France en 2021 montre l’actualité de cette tradition.
Le patriotisme n’est pas pour nous une nostalgie desséchée et irritante.
Il est l’acte d’amour que chaque génération est amenée à poser à la hauteur grandiose à laquelle l’ont fixé leurs glorieuses aînées.
Ne soyons pas le dernier maillon de cette piété filiale qui a traversé les siècles, les invasions, et même les victoires.
Devenons des héritiers au sens noble et transcendant du terme, car il n’y a pas plus grande richesse que celle de la patrie.
Vive la France !