Discours de M. le Maire Yann Bompard
Chers amis, chers Orangeois,
Cette première cérémonie que j’ai l’honneur de présider revêt une importance toute particulière pour le descendant de rapatriés que je suis. Sans vouloir centrer l’histoire sur ma personne, ce qui serait inconvenant, je ne peux en toute franchise ignorer cette part de mon histoire familiale qui se confond avec celle de notre pays. Je le dis d’autant plus que nous sommes nombreux en ce cas, particulièrement dans notre belle région de Provence.
Rendre hommage aux morts pour la France est un devoir d’évidence pour toute personne qui se donne seulement la peine de fouler ce sol, pour lequel tant d’hommes ont donné sang et vie.
Une pointe de nostalgie douloureuse et piquante s’immisce dans les esprits lorsque nous parlons des combattants de la guerre d’Algérie. Les faits remontent à 60 ans : à peine une vie d’homme. Beaucoup de ceux qui l’ont vécue sont heureusement encore parmi nous. C’est donc une mémoire charnelle que nous touchons du doigt aujourd’hui.
Cependant, nous le savons, comme toute chose terrestre, les souvenirs de ces hommes, de leurs faits héroïques, de leurs dons, de leurs aventures, sont en train de s’effacer.
Après avoir été balayés par le vent mauvais de l’histoire qui les a dispersés avec les dernières poussières de l’Empire français, ces centurions, ces prétoriens, ces mercenaires parfois, comme les appelaient Jean Lartéguy, demeurent les héritiers d’une part grandiose de notre honneur national.
Les historiens officiels, stipendiés par l’argent public, oublient souvent de mentionner que ces combats menés en Afrique du Nord ont tous été gagnés militairement.
Si l’aboutissement politique de ces guerres fut à l’opposé de la réalité stratégique du terrain, il n’en demeure pas moins que ceux qui ont participé de cette geste de l’histoire de France ont bel et bien travaillé à la gloire de ses armes.
Aviateurs, chasseurs, parachutistes, commandos, fantassins, tous ont composé la grande fresque de ces soldats des guerres coloniales au teint buriné, à l’allure de condottiere et au destin maudit.
Leur courage et leurs victoires ne servent à rien face à l’encombrement qu’ils ont souvent représenté pour le pouvoir politique compromis et démissionnaire. Pire, certains d’entre eux se sont révoltés pour prendre défense de ceux qu’on leur disait frères et qu’on leur obligeait à abandonner à la torture et à la mort. Alors, ils ont été menés au peloton, en prison, ou tout simplement enterrés vivants en disparaissant des honneurs établis.
Aujourd’hui, grâce à la courtoisie du temps qui passe, nous pouvons enfin rendre hommage sans arrière-pensée à tous ces morts pour la France, et oserais-je dire pour l’Algérie, le Maroc et la Tunisie. Le sang des jeunes Français qui a été versé sur cette autre rive de la Méditerranée n’est pas un sang qui crie vengeance. C’est un sang victorieux et humble, un sang de rédemption.
Il ne sera fertile que si nous le voulons. Sinon, il se dessèchera au soleil brûlant de nos plaisirs coupables, et sera effacé à jamais de notre histoire, fruit des sacrifices et des douleurs consentis de ceux qui nous ont précédés.
Soyons donc dignes de ce sang versé. Allons puiser dans ces destinées éclatantes de liberté et de don, la force nécessaire à l’accomplissement de notre devoir vis-à-vis du passé et de notre charge envers l’avenir. La civilisation se trouve toute là, dans cette transmission du sang glorieux des martyrs et des soldats.
Pensons aujourd’hui à tous ceux qui continuent de livrer bataille et de donner leur vie pour la France.
« Le monde ne saura sauvé que par les hommes libres. En parlant ainsi je reste fidèle à la tradition de l’Europe ». Ce sont les mots mêmes de Bernanos en 1947, au moment où déjà cette génération à laquelle nous rendons hommage aujourd’hui se battait en Extrême-Orient et au midi de la métropole.
Cette pensée nous oblige encore. Malgré le matérialisme, la civilisation n’a pas dit son dernier mot.